Lettre à Monsieur Castagnou Maire du XIVème

Pierre CASTAGNOU
Maire du 14ème arrondissement de Paris
2, place Ferdinand Brunot
75014 PARIS
Paris, le 29 janvier 2003,

Objet : Comité de suivi et d'évaluation du quartier vert Alésia-Tombe-Issoire

Monsieur le Maire,

Permettez moi de vous présenter les principales observations de l’Association Comité Quartier 14 sur les propositions que vous avez faites le 14 janvier 2003 à la Mairie du 14ème Arrondissement et concernant le Quartier Vert Alésia – Tombe-Issoire.

1 – Sur l’ensemble des mesures, notre Association note un manque de cohérence entre les quatre catégories de mesures proposées.

Ainsi, vous envisagez de « soutenir la vie commerçante du quartier et de faciliter les livraisons », en créant notamment des nouvelles zones de livraison ; parallèlement, vous pénalisez ces mêmes livraisons en complexifiant la desserte des rues du quartier dans le chapitre « rendre tranquilles toutes les rues du quartier ». La desserte des commerces d’alimentation par exemple devient dans le schéma proposé un véritable jeu de pistes.

De même, vous insistez – à juste titre – sur la nécessaire animation du quartier. Cela suppose à tout le moins au préalable une meilleure lisibilité du quartier et le rétablissement d’une certaine cohérence interne ; or, tant le plan de circulation interne que les trajets de bus proposés (à court et moyen terme), ont pour conséquence de contourner systématiquement le cœur du quartier, au profit de points d’attraction ou de fixation centrifuges (carrefour Alésia – Tombe-Issoire ; quartier Reille-Montsouris, etc.).

Nous vous invitons à parcourir les rues du quartier vert depuis la mise en place du plan de circulation d’août 2002. Les axes principaux (rue de la Tombe-Issoire et rue du Père Corentin) sont vides ; vides de véhicules certes, mais aussi vides de piétons, de vélos, de rollers ou de trottinettes… et finalement vides de toute vie de quartier. Le nouveau plan proposé nous paraît aller encore plus loin dans cette logique. Quel résultat peut-on alors réellement en escompter ?

Notre association l’a souvent répété :limiter la circulation automobile :oui; ralentir la circulation : oui.
Mais les mesures prises dans ce sens ne doivent pénaliser ni l’activité économique, ni la vie sociale du quartier. L’éclatement de notre quartier en sous-quartiers, sans aucune ligne directrice, ni lieu de rencontre, clair, visible et lisible pour tous, nous paraît être une mauvaise solution. Le quartier vert serait-il condamné à devenir un endroit semi-désert le jour, encombré aux heures de livraison, et livré aux automobilistes jonglant avec les sens interdits dans les petites rues aux heures de départ et de retour de leurs domiciles ?

Nous préférons raisonner globalement sur le quartier, sur la ville, à partir d’une politique d’ensemble claire et réfléchie, plutôt que de débattre de mesures qui font tout de même penser à un rafistolage de dernière heure. Supprimer purement et simplement certains axes de transit sans envisager la régulation des reports de circulation interne et externe, sans prévoir la moindre alternative en termes de transport collectif, comme cela a été fait pour la rue de la Tombe-Issoire, ne peut que provoquer des retombées négatives en cascade.

2 – Sur les mesures visant à soutenir l’activité commerçante et faciliter les livraisons.

Sur ce point, les mesures proposées ne nous paraissent ni singulières ni originales, alors que le plan de circulation mis en place depuis août 2002 a précisément créé une situation singulière. Le 14 janvier, vous avez sollicité avec vigueur les associations de commerçants pour qu’elles vous fassent des propositions d’animation. Sans préjuger de leurs propositions, notre association s’étonne que des emplacements spacieux et conviviaux n’aient pas été aménagés auprès des commerces du quartier, hormis pour le seul carrefour Alésia – Tombe-Issoire.

Il est toujours plus facile de proposer des animations lorsque l’infrastructure s’y prête. En l’état, aucun élargissement de trottoir, aucune plate-forme aménagée n’a été envisagée, ni dans le plan initial, ni dans le plan révisé d’août, ni dans le projet actuel. N’est-il pas temps d’avancer sur ce point, sans renvoyer la responsabilité de l’animation du quartier à des commerçants dont certains doivent faire face à une baisse importante de leur chiffre d’affaires ?

Quant aux emplacements destinés aux livraisons, nous tenons à dire avec force que les riverains des petites rues ressentent très mal l’aménagement de leur voirie en parkings à camions. La qualité de vie dans un quartier, c’est aussi l’harmonie et l’équilibre des rues. Débarrasser les axes principaux des camions de livraison en les rabattant vers les petites rues revient à les transformer en arrière-cours du quartier, leur faisant perdre tout charme et intérêt. Or, précisément, de nombreux habitants, souvent actifs dans la vie sociale du quartier, ont choisi ces rues pour leur qualité de vie initiale. Nous vous le rappelons avec force.

3 – Sur la maîtrise des reports extérieurs de circulation.

Comme nous l’avons annoncé lors de la réunion du 14 janvier, notre association est favorable à la suppression de la sortie de l’autoroute A 6 vers la rue de la Tombe-Issoire. La rue Emile Faguet est actuellement une véritable bretelle d’autoroute ; or la construction du tramway va bientôt obliger tout le flux automobile entrant par cette artère à se diriger vers la rue Paul Appell, traversée par les usagers du stade Elisabeth, et en premier lieu les enfants en âge scolaire. En d’autres termes, la fermeture de la sorie de l’A6 va devenir indispensable et inévitable.

Cela nous amène à réitérer notre question posée le 14 janvier : pourquoi ne pas lier cette proposition avec la réouverture de la rue de Tombe-Issoire, en voie unique, aménagée, sécurisée, protégée par un carrefour du même type que celui du carrefour Alésia – Tombe-Issoire ?

L’axe Tombe-Isoire pourrait alors desservir logiquement les commerces et permettre un accès normal à leur domicile aux habitants du quartier, sans être soumis à la pression automobile comme il l’était antérieurement. Nous tenons à souligner cet aspect : nous ne demandons pas un retour pur et simple à l’état antérieur ; il s’agit de rétablir une voie naturelle de desserte du quartier, tout en limitant strictement l’accès par suppression de la sortie de l’A 6, et en aménageant la voirie jusque là entièrement dédiée à la circulation automobile.

Par contre, nous ne voyons pas l’intérêt de la mise en sens interdit du faubourg Saint-Jacques à partir du boulevard Arago. La réduction de la circulation à l’approche de l’avenue René Coty se traduira selon toute vraisemblance par une augmentation vers le secteur Santé – Reille – Gazan.

4 – Sur le nouveau plan de circulation au sein du quartier.

Cette proposition est l’aboutissement d’une logique qui vise à toujours morceler davantage pour dissuader toute entrée dans le quartier. Cela étant, ce nouveau plan va avantager certains habitants et en pénaliser d’autres. Une nouvelle fois, le « quartier vert pour tous » nous interroge sur ce point.
Des « itinéraires malins » vont être supprimés, mais du coup d’autres vont apparaître. Nous pouvons d’ores et déjà vous en indiquer certains !

Toutes ces mesures nous paraissent être de pure circonstance, sans véritable vision d’ensemble. Une évidence apparaît néanmoins : l’harmonie du quartier n’a rien à gagner avec ce nouveau plan. Nous nous permettons une fois de plus d’insister : sans rétablissement d’au moins un axe naturel au sein du quartier, tout nouveau découpage va recréer de nouveaux problèmes, à chaque fois plus complexes, car venant se superposer aux problèmes créés précédemment.

Nous nous permettons à cet égard de vous rappeler que notre association a travaillé pendant près de 3 mois sur des variantes au plan de circulation actuel. Chaque projet provoquait le rejet d’une partie des riverains adhérents jusqu’à ce que nous décidions à l’issue d’une assemblée générale de proposer la réouverture d’un axe permettant de rendre logique la desserte interne de l’ensemble du quartier.

Nous aurions également aimé trouver dans vos propositions quelques échos sur le rééquilibrage des aménagements au sein du quartier. Pourquoi n’est-il toujours pas prévu de réhabiliter le carrefour Général Leclerc – Sarrettte – Beaunier ? Ce carrefour est dangereux ; l’entrée dans la zone 30 n’est pas respectée ; d’ailleurs qui sait qu’il s’agit d’une entrée de zone 30 ? Hormis un minuscule panneau, aucun aménagement spécifique ne le matérialise, pas même un passage piétons surélevé. De même, rien n’est prévu pour la sécurisation des écoles rue Sarrette (2 maternelles entre Général Leclerc et Alphonse Daudet ainsi que le débouché de l’école primaire, rue Prisse d’Avesnes).

Enfin aucune amélioration pour le stationnement des riverains n’est prévu dans un quartier où les parkings sont rares, ce qui multiplie les stationnements sauvages, désordonnés et gênants pour les piétons.

5 – Sur les trajets de bus.

Les propositions qui sont avancées ne sont que la conséquence logique de tout le reste. Puisque l’aménagement du carrefour Alésia – Tombe-Issoire a rendu impossible la desserte de la rue du Père Corentin ou de la rue de la Tombe-Issoire, il ne reste plus qu’à contourner le quartier !

En l’état, nous ne nous opposons pas aux plans proposés, mais nous dénonçons dans ce domaine la politique du fait accompli. Où en sont les navettes de quartier depuis si longtemps promises par les animateurs de la première heure du quartier vert ? Vous comprendrez que nous soyons particulièrement échaudés et dubitatifs sur la possibilité, sinon la volonté, de mettre en place ces dessertes de bus. En attendant, il faut se satisfaire de ce triste constat : les transports en commun ne passent plus dans le quartier. Et tout cela au nom de la limitation de la place de l’automobile. Ce n’est pas le moindre paradoxe de ce quartier vert !

Au terme de ce courrier, nous ne pouvons que vous indiquer que, pour l’association Comité Quartier 14, le compte n’y est pas. Et nous le regrettons d’autant plus que nous partageons les grands objectifs de limitation de la place de l’automobile dans Paris.

En l’état, nous avons le sentiment d’avoir été les acteurs peu éclairés d’une expérimentation aux principes mal maîtrisés et aux déclinaisons désordonnées dont vous essayez désormais de limiter tant bien que mal, par un jeu de propositions d’ajustements ponctuels, conjoncturels et hâtifs, les conséquences les plus négatives.

Vous l’avez dit, Denis Beaupin l’a dit : ce quartier ne se prêtait pas forcément à ce type d’expérimentation. Alors, ayez le courage d’en tirer toutes les conséquences :

- prenez toutes les mesures nécessaires pour éviter les reports purs et simples de circulation vers les autres quartiers, ce qui suppose de relier cette expérimentation à un projet plus global d’entrée et de sortie de Paris, de circulation globale intra muros (parkings, transports en commun, transports alternatifs, etc.) ; sinon quel sens pourrait avoir la création de quartiers isolés, protégés des flux qui se reporteraient massivement vers des axes sacrifiés ?
- à très court terme, réalisez des aménagements substantiels dans tout le quartier, rendez réelle et crédible la zone 30 : de multiples propositions vous été faites à ce propos ; vous voulez étendre la zone 30 autour du parc Montsouris : nous sommes d’accord si cette extension se fait dans la cohérence d’une réelle continuité avec une zone 30 visible et respectée dans le quartier vert ;
- rouvrez un axe au sein du quartier, permettant de redonner de la cohérence au quartier et donc un sens à l’espace 30.

Dans cette attente, nous ne pouvons donner notre accord sur vos propositions. Nous continuerons à participer au comité de suivi et d’évaluation pour travailler dans une réelle perspective globale, cohérente avec les projets présentés par le Maire de Paris pour 2020.
Nous ne souhaitons pas, par contre, cautionner le plan de sauvetage d’une opération locale mal engagée.

En espérant que nos observations retiendront votre attention, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Maire, l’expression de nos sentiments respectueux.

Pour l’Association Comité Quartier 14,

Le Président,

Gilles POUTOUT

>>TOP