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cet article sur le site du Nouvel Obs Le
courrier d'un lecteur et la réponse du journaliste
Paris-14e. Le chantier Alésia - Tombe-Issoire
Un quartier vert... de rage
C'est la toute première expérience de la capitale.
Les travaux ont commencé en juin et troublent les riverains,
qui nen voient toujours pas les avantages. Cette semaine de
rentrée va permettre un test grandeur nature. Alors, ça
marche ou ça coince les labyrinthes anti-voitures ?
Entre la place Denfert-Rochereau et le boulevard Jourdan, entre
lavenue René-Coty et celle du Général-Leclerc,
60hectares de discorde. Depuis début juillet en effet, les
initiateurs du premier «quartier vert » de Paris (les
élus du 14e arrondissement et de la mairie centrale) font
face à la fronde de riverains et de commerçants enragés
par les effets pervers des aménagements anti-voitures.
Résumons-nous: le triangle en question, proche du périf
et de lautoroute A6, est envahi depuis des décennies
par les automobiles qui entrent dans Paris (le matin, rue de la
Tombe-Issoire) ou en sortent (le soir, rue du Père-Corentin).Cest
une zone résidentielle, il y a six groupes scolaires et un
collège. Au début des années90, des accidents
mortels mobilisent la population. Et conduisent à linstallation
de feux tricolores et de barrières. La mairie de Paris, passée
à gauche, et les Verts dégainent un vieux rêve:
le quartier vert, avec larges espaces piétonniers, plantation
darbres, voies pour bus et vélos, sens interdits qui
découragent les automobilistes. Va pour le 14e avec
son nouveau maire PS Pierre Castagnou comme zone expérimentale.
Pour des raisons budgétaires, il faut faire vite. La concertation
a-t-elle été insuffisante? «Inexistante»,
clament les commerçants. «On a organisé des
réunions publiques dès septembre 2000 », oppose
Geneviève Bellenger, maire adjointe du 14e chargée
des transports. «On a reçu un courrier une semaine
avant le début des travaux, cest tout!», rétorquent
les riverains de la petite rue Lacaze et de la jolie rue du Loing.
Si une partie des habitants du quartier apprécient le projet,
eux pas.
Début juillet, cest la tuile. Les nouveaux sens interdits
de la rue de la Tombe-Issoire conduisent tout droit les conducteurs
dans ces deux rues recyclées en itinéraires bis. Et
engorgées par les camions et les cars de tourisme: «Des
embouteillages qui pouvaient durer plusieurs heures», assure
Fabrice, comédien et associatif. «Les cars se retrouvaient
dans la rue Lacaze et narrivaient plus du tout à en
sortir», ajoutent Kamel et Jean-Marc, de la société
dascenseurs Otis. Le 17juillet, branle-bas de combat. Denis
Baupin (adjoint Vert de Bertrand Delanoë chargé des
transports), Yves Cochet (député Vert de larrondissement)
et les élus du 14e partent tous à la rencontre des
habitants. Qui les attendent en petits groupes et de pied ferme.
Réponse dès le lendemain: par un arrêté,
laccès à la rue de la Tombe-Issoire est purement
et simplement interdit à tout véhicule individuel
venant du périf et de lA6 . Une radicalisation du principe
«quartier vert». Insuffisant, arguent aujourdhui
les riverains. Rue Lacaze, les bébés de Bella dorment
toujours mal, Fadel dit que les voitures foncent, énervées
de perdre du temps dans le labyrinthe, et quil faudrait installer
des dos dâne. Rue du Loing habitent les gérants
dun pressing, très remontés. Cest simple:
ils vont déménager. Enfin, le comble pour un quartier
vert censé faire la part belle aux transports en commun:
les bus28 et 38 ont quitté les petites rues pour la grande
avenue du Général-Leclerc dont ils avaient été
exclus pour ne pas gêner les voitures. Réponse de la
mairie aux usagers: la RATP a donné un avis favorable à
de futurs minibus. Sans aucune garantie.
Côté commerçants, cest la baisse du trafic
des automobiles dans lensemble du quartier qui fait peur.
Quarante-quatre dentre eux ont dailleurs signé
une pétition. André, restaurateur rue de la Tombe-Issoire,
nest pas daccord avec eux: «Les voitures en transit
ne sarrêtent pas. Si elles disparaissent, si le trottoir
est plus agréable, les gens du quartier auront envie de se
balader et dentrer dans les boutiques. Ceux qui ont peur vont
changer davis quand les travaux seront terminés.»
Du coup, voilà André accusé dêtre
à la botte de Geneviève Bellenger. Laquelle a le tort
dhabiter le coin, ce qui lui a valu, dans ce secteur plutôt
politiquement à droite, quelques désagréments.
Son adresse a été divulguée dans un tract,
et les habitants nont que son nom à la bouche: «Tout
ça, cest pour que madame Bellenger nait plus
de bruit sous ses fenêtres; regardez, en bas de chez elle,
il y a un panneau qui limite la vitesse», etc.
Mais dans ce tohu-bohu il faut aussi compter avec madame Barbou.
Une retraitée qui réside dans la fameuse rue Lacaze.
Pas la langue dans sa poche. «Le quartier vert, cest
le début du ghetto, dit-elle. Il y a de légoïsme
collectif à vouloir se protéger de lextérieur,
et notamment des banlieusards. Paris nest pas un Club Med,
cest une ville où les gens travaillent et ont besoin
de circuler. Avec les arbres quils plantent, on va se croire
à Paris-Plage!» Le maire du 14e ébranlé
par les « effets pervers [quil avait] sous-estimés»
veut faire uvre de démocratie et de pédagogie.
Transformer le comité de concertation en comité de
suivi. Ses services ont reçu il y a quelques jours un sacré
riverain. Alain Noury, informaticien de 53ans, fait partie des habitants
nerveux. Mais il est constructif. Il a passé ses nuits dété
à élaborer un plan de circulation alternatif, qui
reste dissuasif pour les voitures en transit, mais qui soulage,
dit-il, les petites rues transformées en autoroutes. Autre
préoccupation de notre informaticien: la dénomination
«quartier vert» connotée politiquement. Encore
un débat en perspective? Emmanuelle Walter et Maël Thierry
Maintenant, à qui le tour ?
Après les « quartiers tranquilles », voici les
« quartiers verts ». Lidée est strictement
la même mais les premiers avaient été créés
sous Tiberi et se bornaient, selon la nouvelle municipalité,
à «quelques aménagements» pour diminuer
la circulation automobile dans certaines zones réduites.
Les seconds, tout nouveaux, tout chauds, inscrits dans le programme
PS-Verts lan passé, vont, promet-on, faire beaucoup
mieux. En modifiant les sens de circulation, en élargissant
les trottoirs et en réaménageant des places, les services
de la voirie veulent créer de vastes périmètres
résidentiels, « végétalisés »,
«conviviaux », préfigurant le Paris de demain.
Certains quartiers tranquilles sont toujours en cours daménagement,
les crédits ayant été votés avant le
changement de municipalité; dautres vont être
transformés en «quartiers verts», comme Sainte-Marthe
(10e et 11e), Forge-Royale- Aligre (11e et 12e), Peupliers (13e),
Rébeval(19e), Belleville (20e). Devraient suivre: le Marais
(4e), le Faubourg-Montmartre (9e), le Faubourg-Saint-Denis (10e),
la Voûte - BelAir (12e) et la porte de Ménilmontant
(20e). En 2003, le Sentier (2e), les quartiers Bretagne (3e), Saint-Germain
(6e), Château-des-Rentiers (13e), Commerce (15e), La Jonquière
(17e). En 2004, la Roquette (11e), Boileau (16e), la Butte Montmartre
(18e) et Sorbier (20e).
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Réponse
d'un lecteur
Monsieur le rédacteur,
Un petit mot à propos de l'article intitulé «Un
quartier vert de rage» [notre numéro du 5 au 11 septembre]
afin d'en souligner certains aspects. Tout d'abord la mise en place
de nouveaux axes de circulation
a entraîné une très nette amélioration
des conditions de vie dans la quartier Alésia-Montsouris
en réduisant de manière significative le nombre de
voitures, ce qui ne s'était jamais produit jusque-là,
en
particulier pour les rues de la Tombe-Issoire et du Père-Corentin.
D'autre part, la stricte limitation de la vitesse automobile et
le fait que les axes précédemment cités ne
soient plus des axes sortant et entrant dans la capitale ne peuvent
que favoriser l'émergence d'un
véritable quartier vert. Il y a certes quelques réaménagements
à opérer, mais de nombreux habitants du quartier considèrent
qu'il y a là un progrès notable. Le titre de votre
article est donc pour le moins polémique, insistant plus
sur les aspects négatifs de cette opération que sur
les points positifs. Notons enfin que beaucoup des opposants à
ces transformations sont des commerçants le plus souvent
non résidents et des automobilistes qui n'aiment pas voir
changer leurs habitudes.
jean-bernard.lampin@worldonline.fr
Président des rues Père-Corentin et Tombe-Issoire
depuis 14 ans
La réponse du journaliste
Editorialement,
«l'Obs Paris Ile-de-France» s'est engagé à
de nombreuses reprises pour la réduction des voitures dans
Paris. Au nom de la santé publique. Et du transport collectif.
Et aussi des autres moyens de transport. Nous n'avons rien contre
les quartiers «tranquilles recyclés quartiers verts»,
mais nos journalistes ont constaté que ça passait
mal chez nombre de résidents. C'est dommage.
Mais le fait est là. Et comme vous l'aurez noté, ce
ne sont pas des Parisiens en voiture revenant de week-end que nous
avons interrogés.
De toute part, ce qui revient dans les témoignanges, c'est
que la préparation de l'opération, information et
discussion, a manifestement été insuffisante. Et c'est
un euphémisme. Toute la question est là:
les meilleures intentions dérapent souvent sur une démocratie
de proximité loupée. Ce fut vrai des maisons pour
toxicomanes, vrai aussi au moment de la consultation sur le samedi
libéré dans les écoles primaires... Les outils
de la consultation et de l'information ne sont pas au point à
la Mairie de Paris et le sont de manière disparate dans les
mairies d'arrondissement: nous continuerons de le dire. Si le quartier
vert est une si bonne idée, il ne fait pas de doute que les
initiateurs doivent convaincre. Sauf à croire, et c'est un
gros risque, que les populations sont conservatrices, inaptes à
entendre et à proposer, et qu'il vaut mieux passer en force
au nom de l'intérêt général. Ça
peut marcher. Ça peut rater. Et, dans ce cas, compromettre
la suite. Voilà l'enjeu de cette enquête. Et la raison
de son titre un peu polémique dont je suis responsable.
Dernier point. Vous dites que les grincheux sont soit des automobilistes,
soit des non-résidents. C'est peut-être vrai pour certains.
Mais ces derniers devraient-ils être privés de parole?
[...]
Guillaume Malaurie
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